On fait tous la même chose

UN JOUR DE GRANDE LASSITUDE...

Margot n'en peut plus. Pourtant, à 27 ans, elle est jeune dans son métier de technico-commerciale qu'elle a embrassé cinq ans auparavant, après une licence pro en agronomie. Aimant le contact et le terrain, le fait d'allier la vente au conseil ne l'avait pas perturbée. Au contraire, elle était ravie de pouvoir accompagner les agriculteurs vers les enjeux qui les attendent.

Mais là, depuis un an, peu à peu, elle perd de son enthousiasme face à des agriculteurs submergés d'offres et d'informations en tout genre. L'avance que son entreprise avait sur certains services a été perdue. Aujourd'hui, ses deux ou trois concurrents proposent des offres équivalentes.

Sa visite de ce matin chez Pascal lui a encore mis un coup au moral. « Tu es une conseillère sérieuse et consciencieuse, Margot, mais ton concurrent, Patrice, m'a fait une offre beaucoup plus intéressante pour piloter l'irrigation de mes 30 ha de maïs grain, lui a avoué Pascal, qui se dandinait tout en parlant, pas à l'aise dans cette situation. J'en tire les mêmes services qu'avec votre système de pilotage en gagnant plus. »

Une fois au bureau du dépôt voisin de l'exploitation de Pascal, Margot rencontre son collègue François, dans la quarantaine, tout sourire. « Eh bien, tu en fais une tête. Qui t'a fait des misères ? » François, qui l'a prise un peu sous son aile, s'est toujours montré taquin avec elle.

« Je suis dégoûtée. Je ne sais plus comment présenter nos offres. A chaque fois, un concurrent est passé par là avec la même chose et moins cher. »

La jeune TC, d'habitude pleine d'entrain, n'arrive même plus à esquisser un sourire. « Je vais te confier quelque chose, mais tu le gardes pour toi. Je ne veux pas me sentir ridicule par rapport aux autres, alors que je roule ma bosse depuis quinze ans. J'ai le même souci que toi : je ne sais plus comment faire la différence avec nos concurrents. On fait tous la même chose maintenant, avec les mêmes OAD, les mêmes prix, les mêmes produits. C'est déprimant, j'en conviens. »

Le regardant fixement, Margot fait part de sa surprise : « Oh ! Toi aussi ? Excuse-moi de dire cela mais ça me soulage, car je me sens moins seule. Je finissais par penser que je n'étais plus à ma place dans ce job. »

Hélène Laurandel